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Marcel Proust

Chicago d'Alaa El Aswany (2007)

Publié le 20 Juin 2008 in Regards sur une oeuvre

Il n'y a pas qu'Al Capone et la mafia à Chicago. Loin delà. Il y a aussi les immigrés égyptiens.

Alaa El Aswany (auteur égyptien que son premier livre L'immeuble Yacoubian a rendu célèbre) nous propose une galerie de portraits d'Egyptien(ne)s plus ou moins jeunes, plus ou moins riches et plus ou moins idéalistes dont le point commun est de travailler dans le centre d'histologie (science des tissus) de la faculté de médecine de la troisième plus grandes villes des Etats-Unis, Chicago.



A l'aube de ses 30 ans, Cheïma Mohammedi, jeune Egyptienne vierge, décide de se rendre à Chicago pour sortir de son quotidien égyptien qui lui répugne,  tellement ce pays semble ne plus être porteur d'espoir pour la jeunesse.  Sur place, elle y rencontre Tarek Hosseïb, trentenaire vierge très sérieux, qui allie l' amour pour le travail à celui pour le catch et les films pornographiques. Expatriés tous deux au sein du monde occidental, ces deux étudiants brillants décident de rompre les tabous sexuels fort répandus en Egypte et ainsi, ils tentent de vivre un amour à l'américaine même s'ils ne peuvent totalement faire abstraction de leur culture d'origine.
Ahmed Danana, également étudiant à la faculté d'histologie, est le porte étendard du Gouvernement Egyptien en sa qualité de Président de l'Union des étudiants égyptiens. Elève médiocre et corrompu, il a compris que la clé de la réussite en Egypte n'était pas le travail mais l'entretien de bonnes relations avec les pontes du régime de Moubarak. Il est le valet de Safouat Chaker, le chef des services secrets égyptiens sur le sol américain, qui ne renonce à aucune violence, aussi bien physique que morale, pour anéantir toute opposition à Moubarak, de qui il attend en retour d'être nommé ministre. Et pour réussir, il faut aussi à A. Danana une fortune personnel pour payer les pots-de-vin. Pour ce faire, il a épousé la belle et riche Maroua, fille d'un grand commerçant. Ils ne s'aiment pas ; Maroua lui reprochant de la violer et d'être égoïste, de ne penser qu'à ses affaires d'espionage et de corruption.
Le quatrième et dernier étudiant égyptien à présenter est Naguy Abd el-Samad. C'est l'anti-Danana. Jeune poète doué d'un caractère entier, il est idéaliste et donc opposant au régime de Moubarak. Il souhaite voir se produire en Egypte une révolution qui instaurerait la démocratie et la fin des tortures. Cela va sans dire que Danana et Chaker lui rendent la vie dure, à force de pression et de menaces, alors que le Président Moubarak est attendu pour une visite officielle à Chicago. D'ailleurs, aidé par Karam Doss, américain d'origine égyptienne ayant fui le régime de Nasser et devenu un très grand chirurgien (alors qu'en raison de ses origines coptes (minorité religieuse en Egypte dévalorisée), les autorités égyptiennes  refusaient qu'il ne pratique au Caire) et aidé par John Graham, américain taciturne, proche de l'extrême gauche et grand professeur reconnu internationalement, Nagui va essayer de mobiliser la diaspora égyptienne pour infliger un camouflet à la venue de Moubarak sur le territoire étatsunien.
Les deux derniers personnages égyptiens sont les professeurs Mohamed Saleh et Raafat Sabet, deux savants de la faculté d'histologie, expatriés aux Etats-Unis depuis des décennies. Mahomed Saleh est en proie au doute des choix qu'il a effectués dans sa jeunesse. Pourquoi a-t-il quitté l'Egypte et surtout l'amour de sa vie, une jeune opposante, Zeïneb, pour partir aux Etats-Unis ? Certes la réussite professionnelle fut au rendez-vous mais pas l'amour. Il se rend compte qu'il n'a épousé sa femme Chris que dans le but de devenir citoyen américain. Il aurait dû rester en Egypte et affronter le régime de Nasser avec Zeïneb. Mais il était trop lâche. C'est d'ailleurs cette lâcheté qui le perdra. Quant à Raafat Sabet, il ne veut plus entendre parler de l'Egypte. Il a honte d'avoir été égyptien dans son jeune temps. Il fait tout pour paraître plus américain que les Américains. Mais, lorsque sa fille Sarah tombe dans la spirale de la drogue sous l'influence de Jeff, un jeune voyou, l'Egyptien qui someillait en lui réapparaît à la surface du Cow-boy qu'il était devenu. Il se met à douter du bien fondé de la société américaine et rétablit sur une sorte de piédestale son ancienne culture. 

Vous l'aurez compris, ce roman est avant tout une réflexion sur la société égyptienne contemporaine avant d'être une réflexion sur les Etats-Unis. Il y est très peu question d'intégration. Il y est surtout question du désarroi des Egyptiens. Alaa El Aswany critique très sévèrement le Gouvernement Egyptien et en première ligne le dictateur Moubarak. Il porte un regard noir sur la torture, la corruption, le déficit d'avenir, les promotions injustifées et la dictature. Et, il fait preuve de pessimisme quant à l'amélioration de la situation ; un pessimisme incarné par le jeune idéaliste Naguy qui est emprisonné par le FBI pour tentative d'attentat sur dénonciation calomnieuse des services secrets égyptiens. Tous ceux qui ont tentés de changer le système n'y ont non seulement pas réussi, mais en plus ils ont été neutralisés par les autorités. Bref, ce roman est un cri d'alarme pour dénoncer Moubarak et toute sa clique. Espèrons que ce cri soit entendu. Et pour renforcer ce désespoir et ce pessimisme, El Aswany n'hésite pas non plus à répéter plusieurs fois la thèse selon laquelle la promotion au mérite n'existe pas en Egypte, seul le piston prévaut. Cette thèse est le leitmotiv du roman ; une thèse d'ailleurs bien mise en contraste étant donné que l'histoire se déroule aux Etats-Unis, pays par excellence de la réussite indiduelle par l'effort (le rêve américain...).
Par ailleurs, Alaa El Aswany scrute deux aspects de la société américaine. D'une part le racisme et d'autre part l'image des Arabes après le 11 septembre. Concernant le racisme, El Aswany nous décrit le quotidien de Carol, jeune femme noire à la recherche d'un emploi, qui est souvent victime de discrimination à cause de sa couleur de peau.

Ce roman est formidable. El Aswany brise un certain nombre de tabous. Les excellentes descriptions des sociétés égyptienne et américaine montrent le talent de cet écrivain, qui s'inscrit dans le courant du réalisme social. Pour celles et ceux qui n'ont jamais été en Egypte, lisez ce livre. Vous voyagerez à peu de frais et découvrirez les dures réalités qui ponctuent la vie des Egyptiens. Arrêtons de ne voir que les Pyramides...derrière elles se cache une vraie dictature...

Bonne lecture !


 

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